LA GRANDE GUERRE

 

En 1914, peu de Farschvillerois s’imaginaient que la guerre était imminente.

 

Au travail, dans les mines, certains en parlaient, mais personne ne savait vraiment. N’oublions pas que depuis le traité de Frankfort, le 10 mai 1871, notre village, comme l’Alsace et la Moselle, appartenaient au Reich en tant que ‘‘terre d’Empire’’. 

Peu espéraient en un retour à la France : d’ailleurs, à Paris, on en parlait presque plus. Ce n’est que dans les églises, qu’à la fin de chaque messe, on priait pour le retour de ces régions à la France. Désormais, à Farschviller, tous parlent l’allemand, tant à l’école, qu’à l’église et à la maison.

 

 

Soudain, le 28 juillet, les soldats allemands occupent les ponts de chemins de fer et, dans la nuit de 1er au 2 août, est donné  l’ordre de mobilisation pour les hommes de 20 à 45 ans. On ne se rend plus au travail. On a peur car tous se souviennent encore de la dernière guerre de 1870. 

Dès le 6 août, la bataille de LAGARDE fait rage. On entend le canon dans la rue du stade. Le lendemain, la maison de Mme MAYER est transformée en infirmerie. En octobre, l’instituteur, M. KIFFER est appelé sous les drapeaux et sœur Marie Léonie est chargée de s’occuper de la classe des garçons, le matin, et de la classe des filles, l’après midi.

Bien que le village ne soit pas directement touché par les combats,  les noms des premiers morts au champ d’honneur sont connus : Pierre WILMOUTH,  Nicolas GEISLER, Nicolas MITTENDORF, Pierre KOSCHER, Alphonse PORTHA et Emile RISSE ne reviendront jamais au pays.

 

 

1915 :

 

Alors que la guerre fait rage et que les armées s’enlisent en Picardie, en Champagne et en Argonne, à Farschviller il ne s’agit pas d’oublier l’anniversaire de l’empereur Guillaume II.

Le 20 janvier, à l’école des garçons, huit soldats allemands viennent assister à la cérémonie. Toutes les familles ont un de leurs membres (fils ou mari) au front. Chaque jour, on redoute le passage du facteur ou la venue du maire, qui pourrait venir annoncer la mort d’un proche.

Le 20 février 1915, Mr Jean DONATE, le maire, procède au recensement de la population.

On sent que les temps deviennent plus difficiles : le 22 mars, pour la première fois, des cartes de rationnement sont distribuées pour le pain. La ration quotidienne est de 250 grammes par personne. L’aliment, qui désormais remplace la viande, est un mélange de pommes de terre, de farine de seigle et d’un peu de farine de blé.

Du côté de l’occupant allemand, le ton monte.

Le 26 avril, une circulaire gouvernementale ordonne que, dans toutes les écoles, les livres français disparaissent : seul l’allemand est autorisé.

Tout devient cher et rare, même le pétrole, si bien que, dès le 11 décembre, ce combustible est soumis aux cartes de rationnement : chaque famille obtient 5 litres par mois : bientôt il faudra de nouveau s’éclairer à la bougie.

Cette même année, des enfants du pays auront aussi donnés leur vie au champ d’honneur : Henri WILMOUTH, Joseph BRAUN, Nicolas FLAUSSE,  Camille MATHIAS, Alphonse MAYER, Jean SCHERER, Nicolas BRUCH et Rodolphe PITZ.

1916 :

Dans la nuit du 30 avril au 1er mai, comme dans tout l’empire allemand, Farschviller avancera les horloges d’une heure.

Avec cette guerre qui perdure, ce n’est pas seulement l’alimentation qui est soumise à rationnement, mais à compter du 1er septembre, c’est également l’habillement. La viande est rationnée à 250 grammes par personne et par semaine. Le beurre vaut 4,80 Marks la livre et les œufs 4 Marks la douzaine.

En outre, à partir du 21 février, s’est engagée la bataille des tranchées de Verdun. Plusieurs hommes du village, mobilisés, y ont pris part et, cette année encore, 5 sont tués : Christophe FLAUSSE, Grégoire JEDAR, Auguste DONATE, Adrien COLMANN et Lucien ALBERT.

 

 

1917 :

Cette année est apparemment calme. La vie suit son cours. L’électricité, arrivée en 1913 au village, est maintenant installée à l’école des filles. Dans les maisons, beaucoup espèrent encore de ce progrès fantastique.

A partir du 5 février, il est interdit de voyager sans permis spécial délivré par l’autorité allemande.

Avec la guerre qui s’est enlisée, le besoin d’aliments pour l’armée se fait plus pressant : aussi, tous ceux qui possèdent des poules doivent désormais céder 2 œufs par poule chaque semaine. Mais ce qui touche encore plus cruellement est le manque de pommes de terre. Les allemands organisent des perquisitions dans les maisons à la recherche de ces précieux tubercules.

Et cette année encore la liste des morts s’allonge : Lucien PORTHA, Nicolas Georges et Nicolas PITZ.

 

1918 :

Le 1er  janvier, l’abbé Nicolas MARON, originaire du village, a béni la statue du Sacré Cœur à l’école des filles et depuis, chaque premier vendredi du mois, une cérémonie aura lieu en l’honneur du Sacré Cœur.

Mais la guerre n’est toujours pas finie = il faut de plus en plus d’armement : canons et obus doivent être fournis en grand nombre. Pour cela, l’armée allemande réquisitionne les cloches dans toutes ses provinces. Le 14 janvier, durant 5 heures, les cloches sonneront pour dire un dernier adieu au village. Les deux plus grosses seront décrochées le lendemain et partiront vers l’Allemagne afin d’y être fondues. Désormais, le son de leur joyeux carillon s’est tu. Cependant, leur métal, désormais transformé en armes de guerre, engendre ruines et morts.

 

Le 27 janvier, tout le village doit se rendre à l’école des filles pour le 59ème anniversaire du Kaiser.

Dès le lendemain, le coût de la vie augmente une nouvelle fois. En une année, tous les aliments de base ont connu une augmentation de 100%. Le café est lui aussi maintenant soumis au rationnement.

Le 25 mars, sœur Berthe Joseph, la garde-malade, quitte le village. Elle sera remplacée,  le 28 septembre, par sœur Marie Wilhelmine BOHR, mieux connue sous le nom de sœur Marie.

Le 7 mai, tous ceux qui possèdent une vache doivent céder un demi-litre de lait par jour et par vache. Mais devant le refus de la population, et en représailles, ils sont obligés d’en donner le double.

 

Le 11 novembre, enfin la paix.

L’armistice est enfin conclu. Toutefois il faudra attendre le 20 novembre pour que les derniers soldats allemands quittent le village.

Le lendemain, les premiers soldats français reviennent au village. Des arcs de triomphe se dressent près de la fontaine et les maisons sont pavoisées.

Le jour de Noël, la monnaie française remplacera la monnaie allemande en vigueur depuis 48 ans : 1 mark vaut 1,25 francs.

Aux héros déjà cités, viennent encore s’ajouter en cette année 1918 : Henri PORTHA, Edouard MAYER et Jean DONATE.

 

Ce sont 25 hommes de notre village qui auront donné leur vie pour que Farschviller revienne dans le giron de la France.

 

LA SECONDE GUERRE MONDIALE

 

En 1933, le Président du Reich, Paul Hindenburg, nomme Adolphe Hitler Chancelier. Hindenburg espère que le nouveau Chancelier puisse réunifier l’Allemagne, profondément divisée entre ses nombreux partis politiques.

De plus, l’Allemagne connaît, depuis près de vingt ans, une crise économique terrible : jamais le taux de chômage n’aura été aussi élevé. Suite à la signature du Traité de Versailles, le pays est à genoux, ruiné, qui plus est, humilié.

Hitler promet à ses concitoyens du changement.

 

En 1933,  soutenu par son parti (NSDAP) et les SA, Hitler devint le chef de l’état allemand : le Führer.

En Allemagne, c’est l’euphorie : constructions d’autoroutes, relance de l’industrie, tous ceux qui adhèrent au parti trouvent un emploi. Et chaque jour, les adhésions se font par dizaines de milliers.

En dépit de l’interdiction faite à l’Allemagne de fabriquer des armements, les fonderies Krupp produisent, à la chaîne, chars, avions, armes et munitions. Et la Sarre, démilitarisée depuis 1918, voit l’installation de nouveaux régiments.

 

Fin septembre 1938, la France, inquiète, rappelle sous les drapeaux les frontaliers et occupe les postes de la ligne Maginot, ligne qui avait été construite à partir de 1927.

 

Bien qu’Hitler ait assuré au Premier Ministre anglais, Neville Chamberlain, qu’il n’avait pas l’intention de s’engager dans un conflit, le 1er  septembre 1939, les chars allemands forcent les frontières polonaises et l’aviation bombarde les villes de ce pays.

Maintenant, eu égard aux accords internationaux, tout laisse à supposer que l’entrée en guerre de la France est imminente : ce sera chose faite dès le 3 septembre 1939, à 17 h 00 : les cloches sonnent et le garde champêtre hurle à travers les rues la lugubre nouvelle.

A cette date, 30% du territoire de la Moselle se trouve entre la Ligne Maginot et la frontière franco-allemande. Il faut donc évacuer 302 732 personnes, soit 45% de la population du département.

 

Ce 3 septembre, l’ordre d’évacuation du village est donné.

 

Toutes les familles sont déplacées vers les départements du Centre et de l’Ouest de la France. La Charente, la Vienne, la Haute Vienne et la Haute Loire, accueillent les familles de mineurs.

Chacun confectionne rapidement son bagage, enterrant le plus rapidement possible vaisselle et objets précieux, libérant les petits animaux : les maisons sont abandonnées. A présent, il faut rapidement rejoindre Burlioncourt, point de ralliement des évacués de la région.

Attelages et charrettes se mettent alors en route : un triste convoi prend la direction de Château-Salins pour rejoindre au plus vite la gare de départ : il faudra 2 jours pour atteindre cette destination.

Après quelques jours sur place, les ‘‘évacués’’, hébergés chez les habitants de Burlioncourt ou dans les granges avoisinantes, prennent le départ qui se fera depuis la gare de Hampon.

Le peu de bagages qu’ils ont pu rassembler est entassé dans des wagons à bestiaux. Les animaux d’attelage sont libérés dans les champs et la locomotive siffle le départ. Le voyage en wagons à bestiaux, sans aucun confort, sans aucune possibilité de faire sa toilette, durera plusieurs jours.

 

Les familles arrivent enfin à destination. Accueillies par le maire, elles sont accompagnées vers leurs familles d’accueil qui se retrouvent dans l’obligation de mettre à la disposition de ces ‘‘étrangers’’ quelques pièces de leur domicile. Rapidement, les hommes reprennent le travail. Femmes et enfants tentent de cohabiter.  Beaucoup se sentent mal accueillis et le fait de ne pas parler la même langue aggrave les choses. En effet, après 48 ans d’occupation, fort peu de Farschvillérois parlent encore couramment le français. Ces ‘‘Boches de français’’ avaient donc bien des difficultés à se faire une petite place dans leurs villages d’accueil.

 

En visitant régulièrement leurs ouailles, les prêtres vont avoir à jouer ici un rôle primordial : maîtrisant la langue française, ils se font leurs interprètes, tentant de résoudre diverses questions d’ordre administratif, en se faisant médiateurs dans les conflits.

 

Voici à ce sujet une petite anecdote : Dans un village de Charente où une famille avait trouvé refuge, un épicier ambulant passa près de la maison. Madame, intéressée par certains produits, tenta d’engager la conversation. Mais le marchand ne comprenait pas son dialecte et elle ne maîtrisait pas suffisamment le français pour passer commande. Pourtant, ce beau fromage, ne serait-il pas le bienvenu pour le dîner ? Elle le lui montra du doigt et lui voulut savoir quelle quantité il devait couper pour le lui vendre. Mais combien est-il difficile de s’expliquer par gestes, lorsque l’on parle deux langues différentes ! Au bout d’un certain temps, madame, quelque peu irritée, lui dit ‘‘un Käs, je veux’’. Comment cela ? Vous en voulez une caisse ? Oui, oui ‘‘un Käs’’ reprit la brave dame.


L’épicier lui promis de revenir le lendemain afin de lui livrer la précieuse commande. Madame ne pouvait ni comprendre, ni imaginer pourquoi il lui fallait un tel délai pour un simple morceau de fromage que, par ailleurs, il détenait déjà. 

Le jour suivant, quelle ne fut donc pas sa surprise en se voyant livrer… toute une caisse de fromages ! ‘‘N’est-il pas fou ce type ! Il ne s’imagine pas que nous allons rester ici à attendre que vienne la fin de la guerre en ne mangeant que du fromage !’’ dit-elle en dialecte de Farschviller.

 

Vide de toute âme, Farschviller est occupé, vers le 15 mai 1940, par les soldats allemands. Les maisons sont visitées et souvent pillées, mais on ne connaît que fort peu des évènements qui se sont déroulés au cours de cette période.

 

Le 30 novembre 1940, l’Allemagne proclame officiellement l’annexion de l’Alsace et de la Moselle au Reich. Cette seconde annexion, contrairement à la première en 1870, n’a jamais été ratifiée par un traité international.

Dès le 25 juillet de la même année, les frontières de 1870 avaient été rétablies et le département de la Moselle est intégré au ‘‘Gau Westmark’’ comme nouveau territoire du Reich.

 

Du 3 septembre 1939 à juin 1940, ce que l’on appelle la ‘‘drôle de guerre’’, la France pense qu’elle tiendra ses positions grâce à la ligne Maginot et à la vaillance de ses troupes.

Mais il n’en sera pas ainsi : le 14 juin 1940, les troupes allemandes entrent dans Metz. Le lendemain, le Préfet est arrêté et signe la défaite de la France.

Puis quatre jours plus tard, la signature à Rethondes du traité d’armistice détruit tout espoir de victoire.

Entre août et septembre 1940, les évacués reviennent peu à peu au village.

 

Le 7 août 1940, le ‘‘Gauleiter’’ Josef BÜRCKEL prend ses fonctions à Sarrebruck et devient ainsi le nouveau chef de l’administration de la Moselle.

Sur ordre d’Hitler, la Moselle doit être germanisée en 10 ans, toute résistance devant être sévèrement punie : 60 000 francophones ou francophiles, ainsi que les indésirables, sont alors expulsés vers la France.

Certains noms de village sont germanisés, de même que certains noms de famille.

La mairie est installée au 67, rue Principale.

Herr HAHN, un ressortissant allemand, devient le nouveau ‘‘Ortsgruppenleiter’’ du village et Herr KURBUAN, son secrétaire.

Dans les écoles, les cours sont de nouveau dispensés en allemand.  Pour les anciens, rien de nouveau : ils avaient grandi sous un système éducatif similaire.

 

A partir de 1941, une ‘‘Volkstumspolitik’’ de germanisation est mise en œuvre : il s’agissait, en attirant des travailleurs et des fermiers de souche allemande en Moselle, de créer une politique d’exploitation systématique des ressources au profit du Reich.

Le 25 janvier 1941, et toujours dans un souci de germanisation de la Moselle, un appel à incorporer l’organisation de la ‘‘Hitlerjugend’’, pour les garçons, et le  ‘‘Bund Deutcher Mädel’’, pour les filles, est lancé dans toutes les écoles.

En 1941, Josef GOEBBELS, alors Ministre de la Propagande, se déplace en personne à Metz pour inciter les jeunes à l’adhésion de ces organisations.

Le 16 mars 1941, le Gauleiter Josef BÜRCKEL permet aux opposants de quitter la France : 6 700 personnes émigrent en zone libre.

Le 23 avril 1941, le décret d’incorporation des Mosellans, garçons et filles, âgés de 17 à 25 ans, dans le ‘‘Reichsarbeitsdienst’’ est publié.

A partir du 16 juillet 1942, pour faire face aux pertes allemandes de plus en plus nombreuses, le ‘‘Kriegshilsdienst’’ enrôle de force des auxiliaires féminines : les ‘‘Malgré-elles’’ viennent de naître.

Le 4 août 1942, la ‘‘Hitlerjugend’’ devient obligatoire pour tous les jeunes garçons.

 

Depuis le 10 mai 1940, l’Allemagne, désormais en guerre sur deux fronts, a grand besoin de nouveaux combattants. Le 19 août, une ordonnance rend obligatoire le service dans la ‘‘Wehrrmacht’’. A leur tour, les ‘‘Malgré-nous’’ viennent de naître.

 

Tous avaient compris que refuser la germanisation était suicidaire.

Pour la plupart des jeunes garçons, ce fut le début d’un long cauchemar qui se terminera, pour beaucoup, sur le Front de l’Est ou dans les camps d’internement soviétiques.

A partir de 1943, toute résistance, refus de servir dans l’armée allemande ou désertion entraîne immédiatement la déportation des familles en Silésie, en Pologne ou dans les Sudètes, sans espoir de retour : l’insoumis expose donc maintenant les siens à des représailles implacables.

Cette politique a pour conséquence la déportation, dans les Sudètes, de près de 200 personnes de notre village, en tant que ‘‘force de travail’’.

 

Dès 1943, les trois plus grosses cloches du village sont réquisitionnées pour être fondues et transformées en armement.

L’Unterweiher, qui était à sec,  est réapprovisionné en eau et entre ainsi  dans le dispositif de la ligne Maginot aquatique.

Dans la rue du village, deux maisons, aujourd’hui le n°33, sont détruites. Un grand bassin d’eau est creusé dans les ruines : cette réserve devait servir en cas d’incendie, après des bombardements.

Un bassin identique est également creusé derrière l’ancien cinéma dans la rue des Grenouilles.

La vie quotidienne devient brusquement plus difficile. Les animaux, désormais répertoriés, doivent être déclarés. Une partie du lait, des œufs et de la viande doit être livrée à l’occupant.

 

A partir du printemps 1944, des bombardiers américains se succèdent par vagues au-dessus de notre région, faisant le plus souvent d’énormes dégâts : 23% des communes sont détruites à plus de 50% et 8% le sont à plus de 75%.

 

Le 8 juin 1944, alors que les alliés débarquent en Normandie, les allemands sont, plus que jamais, sur les dents : tout devient objet de surveillance et notamment les paroles. Les prêches des curés sont écoutés, et, dans les écoles, les enfants sont interrogés.

 

A l’été 1944, la roue du destin tourne en faveur des Alliés et des Mosellans.

Les Alliés se rapprochent chaque jour davantage et, de-ci et de-là, des résistances se font jour.

 

Le 3 septembre 1944, les civils allemands, dont le ‘‘Ortsgruppenleiter’’ et ‘‘les instituteurs’’ sont contraints de quitter le village et de franchir la frontière avant 18 heures.

Le 9 septembre, des heures durant, des avions anglais et américains survolent du village en direction du Reich.

Le 29 du même mois, à 17 heures 30, l’aviation alliée bombarde et mitraille la gare : en gare, stationnaient deux trains, l’un contenant des munitions et le second transportant des hommes de la région de Forbach, réquisitionnés en vue de creuser des lignes anti-chars près de Sarralbe.

Tous les matins, des convois acheminant la main-d’œuvre, arrivaient en gare de Farschviller, d’où elle était répartie dans différents autobus qui acheminaient les hommes vers les lieux d’extraction.

En fin d’après-midi, les travailleurs, sur le chemin du retour, mais avertis du danger, avaient pu quitter les wagons  pour se mettre à l’abri, après avoir éloigné le train de munitions.

En rase-mottes, les bombardiers survolaient la région pour larguer leurs engins de mort sur les trains circulant sur les voies ou stationnant dans les gares.

Après quelques minutes de bombardement, le train des voyageurs étaint pulvérisé, faisant de nombreux morts.

 

En l’occurrence, la déflagration fut telle que l’armoire de la chambre à coucher de mes grands-parents s’effondrera sur le lit. Même la tarte aux quetsches qui tiédissait tranquillement dans la chambre fut couverte d’éclats de verre.

 

Voici la liste des victimes de ce train :

 

Ø  GRIMMER Jean-Emile, né le 3 août 1912 à Morsbach, y demeurant.

Ø  GILLENBERG Jacques, né le 28 novembre 1903 à Petite-Rosselle, y demeurant.

Ø  GROO Jean Nicolas, né le 7 février 1890 à Bousbach, demeurant à Forbach.

Ø  BOLA Guillaume, né le 17 juin 1905 à Barneberg, demeurant à Stiring-Wendel.

Ø  CEPIN Jules, né le 12 juin 1920  à Dol-Lesko-Vei, demeurant à Stiring-Wendel.

Ø  CHRISTMANN Jean, né le 16 décembre 1928 à Sarrbrücken,

demeurant à Stiring-Wendel.

Ø  GLATZ François-Paul, né le 16 mai 1927 à Kühverfeld, demeurant à Stiring-Wendel.

Ø  GONDRARCYK Bruno, né le 13 septembre 1895 à Siensko en Pologne,

demeurant à Stiring-Wendel.

Ø  JAROSZEWSKI Joseph, né le 5 octobre 1895 à Jastrezembie en Pologne,

demeurant à Stiring-Wendel.

Ø  KOHL Léonard, né le 6 novembre 1916 à Forbach, y demeurant.

Ø  KULECZKA François, né le 3 avril 1925 à Stiring-Wendel, y demeurant.

Ø  MEYER Alphonse, né le13 novembre 1903 à Stiring-Wendel, y demeurant.

Ø  NEYBECKER Pierre, né le 11 novembre 1887 à Forbach, y demeurant.

Ø  PRÜMM Joseph, né le 23 décembre 1910 à Saarbrück, demeurant à Stiring-Wendel .

Ø  WAGNER Jean Pierre, né le 12/07/1906 à Cocheren, y demeurant.

 

Dans ce même convoi ferroviaire, un wagon transportait des chevaux qui, lors du bombardement de la gare, s’enfuirent. Or, parmi tous ces animaux, l’un d’entre eux ne cessait de divaguer près de la gare.

C’est mon arrière-grand-père qui le capturera et il le remit à Auguste MULLER : le cheval et l’homme devinrent compagnons de labeur.

La petite histoire veut que la seule fois où l’on vit Auguste pleurer fût lors de la disparition de ce cheval, lorsqu’il périt noyé.

 

Quelques jours plus tard, le ‘‘Gauleiter’’ BÜRCKEL se suicida.

Au cours de la nuit du 5 octobre, la ville de Sarrebruck est bombardée : l’éclat de l’explosion des bombes pouvait être vu depuis le village.

 

Désormais, et jusqu’à la mi-novembre 1944, tous les hommes seront réquisitionnés pour creuser des tranchées anti-chars à Barst.

Pour la première fois, la proximité du ‘‘danger de la guerre’’ se fait sentir : des bombardiers américains sillonnent le ciel tandis que les soldats allemands se préparent à la défensive.

Alors que les troupes terrestres alliées se rapprochent, l’aviation américaine bombarde à tout va : on comptera 17 personnes tuées et 5 maisons incendiées.

 

Ce même mois de novembre 1944, commencera le triste ballet des déportations vers les camps de concentration.


C’est ainsi que :

·       Henri TRINKWELL passera 7 mois à Dachau.

·       Gustave TRINKWELL y décèdera le 9 février 1945.

·       Alphonse POSS sera interné 7 mois à Dachau.

·       Après 7 mois passés à Ravensbrück, Marguerite HILPERT décèdera à Paris, au cours de son rapatriement.

·       Jeanne POSS et Emma NIEDERLENDER resteront 7 mois à Ravensbrück,

·       et Marcelline KUNTZ passera 12 mois dans ce même camp.

 

Le triste sort de la famille TRINKWELL :

 

Henri TRINKWELL, jeune homme célibataire, exerçait le métier de forgeron à Farschviller.

 

Devant être incorporé dans l’armée allemande, il refusa de servir sous ce drapeau et déserta.

Le 28 octobre 1944, toute sa famille (son père Gustave, sa mère et son frère) est arrêtée.

Ils se retrouveront à la prison de la Brême d’Or. Gustave, le père, est déporté à Dachau ; son épouse le sera à  Ravensbrück et son frère sera incarcéré dans une quinzaine de camps différents.

Henri est mobilisé de force, mais refuse de prêter serment au Führer. Le tribunal de guerre le condamne à 12 ans de forteresse. Il réussit à s’évader et se cache durant 17 mois.

Une nouvelle arrestation le ramène à Munich pour travaux forcés.

Après sa libération, en raison de mauvais traitements, il doit se faire soigner à l’hôpital de Metz : 6 mois de convalescence lui seront nécessaires pour être remis sur pied.

Après la libération de la France, les deux frères se retrouveront à Paris pour accueillir leur mère qui, enfin, pouvait être transportée : la malheureuse ne pesait plus que 30 kilos.

Durant son temps de convalescence, elle chercha à recueillir des nouvelles de son mari disparu.

Revenue au village, la famille apprend le décès de Gustave, survenu à Dachau, le 9 février 1945, suite à de mauvais traitements et à une très importante sous-alimentation.

Malheureusement, cette famille n’est qu’un exemple parmi tant d’autres des souffrances causées par la terrible idéologie nazie.

 


Les alliés progressent rapidement vers le Rhin : ceux des habitants qui écoutent la BBC savent que l’arrivée des alliés est désormais imminente.

 

Les familles sont invitées à préparer le sous-sol de leur maison en vue de s’y réfugier : il faut impérativement placer des bois de soutènement et avoir à disposition de la nourriture ainsi que des haches et des pioches. Mais cette fois, il n’est plus prévu d’évacuer la population.

 

Dans la nuit du 20 au 21 novembre 1944, les premiers obus américains atteignent le village.

Commence alors la ‘‘vie dans les caves’’ qui durera jusqu’au 4 décembre.

Trois personnes sont blessées par éclats d’obus. Plusieurs maisons seront complètement rasées et la plupart des toitures endommagées.

L’église, quant à elle, a beaucoup souffert.

Aux abords de la gare, un dépôt de matériel, qui avait été installé par des pionniers de la Wehrmacht, est détruit lors des attaques aériennes alliées.

 

Dans un dernier sursaut de désespoir, les allemands feront sauter le pont et la vanne de l’étang.

Mais le 4 décembre, à 8 heures du matin, la 35ème division d’infanterie américaine libère la partie ouest du village.

Seules subsistent quelques petites poches de résistance allemande, autour du quartier de la gare.

Vers 14 heures, tout devient calme : le village a été libéré.

L’occupant a pris la fuite. La supériorité du matériel américain aura eu raison de la résistance allemande. Quelques soldats allemands seront faits prisonniers, sans qu’ils fassent montre d’une once d’opposition.

 

A ce moment-là, la majorité des habitants était encore en déportation dans des camps de travail en Allemagne. Quant à ceux qui avaient été évacués dans les différentes régions de France, ils étaient déjà revenus au village.

Les quelques familles qui y étaient demeurées au cours de l’occupation s’étaient plus ou moins accommodées de la présence de l’occupant allemand, mais elles étaient peu nombreuses.

 

Peu à peu, notre village qui s’était vidé de la plupart de ses habitants, se retrouva encerclé par un bataillon américain : au Nord, la batterie Charly, au Nord Est, Backer, au Sud, la batterie Able.

 

Après une nuit calme, des patrouilles américaines traversèrent le village : chaque maison fut systématiquement fouillée, de la cave au grenier.


Le quartier général de la batterie, le centre de direction du tir ainsi que le mess s’étaient établis dans l’épicerie THIRION : au sous-sol, se tenaient l’équipe de standardistes, la centrale de messages, les tableaux et cartes et autres équipements. Le colonel SPEISER, les majors FRIERSON et WILLARD, le capitaine CABE, ainsi que les officiers du mess logeaient au 1er étage, les soldats étant cantonnés au 2ème étage.

 

Deux soldats américains logeaient chez Pierre DONNATE, dans la rue des Roses : dans la cave, était installée la cuisine du bataillon : 

‘‘Cette maison était habitée par une famille de quatre personnes.

Un couple parlant l’allemand et deux charmants petits enfants occupent les deux chambres de l’arrière. Ce sont des Lorrains de très modeste condition, malheureux et abêtis par la guerre. Durant notre séjour, ils n’ont que très peu parlé.

Au début, nous étions méfiants à l’égard de ce couple dont nous ne connaissions pas les opinons politiques, et ce du fait qu’ils parlaient l’allemand.

Comme nous ne parlions pas cette langue, nous les avons ignorés et étions rassurés de les savoir dans les deux chambres de l’arrière. La femme nous allumait du feu chaque soir et nous faisait le ménage. Nous nous montrions reconnaissants en lui offrant, de temps en temps, une boîte de ration de notre mess. Pour le reste, nous les voyions très peu.’’

 

Trois semaines plus tard, ce fut Noël :

‘‘Un sapin de 45 centimètres de hauteur, voilà tout ce que nous avons trouvé.

Mais nous avions déjà du mal à le décorer. En guise de guirlandes, nous utilisions des rubans de papier argenté que nos bombardiers déversent abondamment pour brouiller les radars ennemis. Même le papier cellophane des paquets de cigarettes nous sert à décorer les branches. Pour terminer, nous avions coiffé le sapin d’une magnifique étoile toute scintillante que nous avons laborieusement découpée dans le métal d’une boite de conserve vide.

Le soir de la veillée, tous les officiers se retrouvent autour d’une table recouverte d’une nappe pour l’occasion. Au milieu de la table, autour du sapin, brûlent deux lampes à pétrole. Nos rations de liqueur sortent de dessous les oreillers et ensemble nous essayons de fêter dignement l’évènement. Malgré les efforts de quelques-uns, la veillée fut plutôt triste. »

 

Les différents bataillons appartenaient à la 7ème Armée qui avait pour mission de sécuriser une zone partant du Sud de la Suisse, le long de la frontière sarroise, le long de la Moselle, et allant presque jusqu’au Luxembourg.

Le haut commandement américain soupçonnait l’ennemi de préparer une contre- offensive : les troupes positionnées à Farschviller devaient aménager des positions défensives, en cas d’attaque. De plus, elles étaient chargées de quadriller une zone d’environ 50 kilomètres.

 

A cette époque, le village comptait une centaine de maisons. Un militaire américain notait dans son journal personnel :

‘‘Les maisons s’échelonnent le long de la route et autour d’une petite place où domine, sur un petit monticule, la majestueuse église montée d’une gracieuse flèche. Il y a un contraste frappant entre cette belle église et les maisons en briques rouge-brun de style germanique qui sont groupées à ses pieds. »

 

Petit à petit, la vie de nos militaires se transforme en une monotone routine.

Afin de garder le moral, il convient de divertir les hommes.

 

Ainsi le Spécial Service Américain approvisionnait ses troupes avec des films.

Un générateur permettait de faire fonctionner le projecteur. Rue Principale, le bistro BARTEL servait de salle de spectacle. Le générateur, qui ne résistait pas aux températures glaciales de ce rude hiver 1944-1945, fut transporté dans l’étable à vaches, à l’arrière du bâtiment, la chaleur dégagée par les vaches devant assurer le bon fonctionnement de l’appareil.

Le lendemain matin, on s’aperçut que trois des vaches étaient mortes intoxiquées par les gaz d’échappement du générateur : durant toute une semaine qui suivit, le maire, les propriétaires des vaches et les responsables militaires furent occupés à établir des rapports en vue d’expliquer cet incident et remplir les papiers nécessaires au remboursement des animaux, après guerre.

 

Peu de temps après, fut organisé un ‘‘live show’’ de danse, constitué d’un groupe de six artistes, quatre femmes et deux hommes : les femmes dansaient tandis que les hommes se montraient d’excellents musiciens et comédiens. La prestation se révéla une pleine réussite.

 

Devant cette réussite, un soldat proposa d’organiser un bal ouvert à la population.

M. Jules HERGOTT prêta son tourne-disque et on trouva trois tonnelets de bière dans une brasserie des environs, le tout accompagné de quelques biscuits secs tirés des rations.

Seules quelques jeunes filles du village eurent le courage de participer à ces festivités. Mais, après quelques instants, des couples osèrent timidement s’aventurer sur la piste de danse.

Puis, soudainement les rythmes s’accélérèrent passant au swing : toute la salle s’emballa. Les jeunes filles apprirent rapidement à danser sur ces nouveaux tempos et la soirée se transforma en un vrai succès, succès tel que l’expérience fut réitérée deux semaines plus tard.

 


Ainsi s’écoula la vie de nos soldats américains à Farschviller, temps au cours duquel alternaient périodes tristes à mourir et moments passionnants, tandis qu’à seulement quelques kilomètres de là, Forbach était toujours encore occupé par l’ennemi.

 

Vers le mois de février, un chasseur allemand apparut subitement dans le ciel et mitrailla quatre « Piper-clubs » de liaison stationnés sur le petit terrain d’aviation.

 

Le 19 février, le Général OTT, commandant le corps d’artillerie du XIIème  corps, arriva à l’épicerie THIRION pour remettre quelques décorations aux glorieux soldats stationnés à Farschviller.

 Le jour suivant, par un froid glacial, et après deux mois vécus dans le village, l’ordre de réintégration du XIIème corps leur fut donné : leur présence à Farschviller prenait ainsi fin.

Au village, désormais privé de toute présence militaire, une vie à peu près normale peut enfin reprendre. Les vitres sont remplacées, les toitures réparées. Ceux et celles, dont les maisons ont été détruites, s’installent chez des proches.

 

Toutefois, la guerre se poursuivra encore durant près de 6 mois : sombrant toujours davantage dans la folie, HITLER refuse toute capitulation. Malgré les bombardements de nombreuses villes allemandes et la perte d’innombrables victimes civiles, le chef du Reich ne cède toujours pas.

 

Seule l’entrée des forces soviétiques à BERLIN et le suicide du dictateur mettront fin, quelques jours plus tard, à la plus grande horreur du 20ème siècle.

Le 8 mai 1945, l'heure est enfin à la joie : le massacre est terminé.

 

Partout en Europe, on fait les comptes : macabre comptabilité où se s’entremêlent morts, blessés, mutilés, déportés, veuves et orphelins. 

Et comme voici des millénaires, à Jéricho au son du clairon, après cinq années de douleur et de sang, un monde tyrannique vient de s'écrouler.

 

Combien ont perdu leur vie ?

 

Des millions d’hommes, de femmes, d’enfants sont ainsi disparus, partis en fumée dans des pays dont ils méconnaissaient jusqu’à l’existence, n’en ayant entendu parler que très fort rarement, lorsque leur instituteur désignait ces contrées sur une carte ou une mappemonde.

 

Après ce mois de mai 1945, les déportés survivants purent enfin revenir de leur enfer.

 

Voici venu le temps de pleurer les victimes de notre village :

 

Les victimes militaires : Alphonse MULLER, Charles JUND, Louis HENRI, François BENEDIC, François JUNGMANN, Frédéric JEHLE, Alexandre FIGELL et Alfred LITTZENBURGER,

 

Mais aussi les victimes civiles comme Joseph FISTER, Emile WERNET, Marie-Georgine WILMOUTH née WAGNER, Jean-Gustave TRINKWELL, Mme Marie BAUMANN née PITZ, Mme Catherine TRINKWELL née HILPERT.

 

Herr HAHN et son secrétaire, des hommes qui avaient été reconnus comme ‘‘formidables’’ par beaucoup, ne seront toutefois pas oubliés par les Farschvillérois, car nombre d’entre eux leur doivent leur vie.

Bien des années plus tard, certains habitants du village iront leur rendre visite à METZIG dans la Sarre, pour les remercier, encore et toujours.

 

Et voici que nous profitons depuis plus de 75 ans de cette paix.

Malheureusement, chaque soirs les actualités nous apprennent que la paix n’est jamais acquise, que sa ‘‘flamme’’ doit toujours être entretenue.

 

Alors, cessons de nous battre pour des futilités, essayons de nous soutenir, de nous entraider pour que notre village connaisse l’entente, l’entente dans nos familles et entre toutes nos familles.

 

Et n’oublions jamais que rien de beau, que rien de grand ne se fait sur terre sans amour, sans sacrifice.

 

‘‘La paix n’aurait pu être qu’une fleur des champs, l’une de ces fleurs sauvages  dont nul ne prend soin, mais qui embellit tant la nature.

Au contraire, la paix est bien plus qu’une tâche, c’est un devoir : il nous faut construire la paix.

 

Et tout comme il faut du temps avant que n’éclose une rose sur son rosier, tout comme il faut du temps avant de boire le vin de la vigne, il nous faut du temps, et bien des efforts, pour bâtir un monde de paix.’’